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Mescalito VI 5.9/A3+

Notes by Yves Briere, who climbed the route with James Scheh, 24 Oct-2 Nov 1994.

Flashbacks.

*  Seule ma tete depasse du  duvet. Au dessus de  moi un ciel d'encre,
sans  lune.  Des  milliards  d'etoiles,  on  pourait  les toucher.  La
constellation d'Orion va bientot passer derriere la paroi du Capitan :
il va bientot falloir se  lever.  Au dessous  de moi, des centaines de
metre de vide.  Un nouveau jour dans Mescalito.

* Mescalito, VI 5.9 A3+,  Yosemite, Californie.  Mescalito est une des
70 voies du Capitan. La voie remonte la paroi a  l'endroit ou elle est
presque la plus haute.  Mille metres de granite surplombant, parfait.

*  La nuit  est tombee  depuis une heure.   La   longueur en traversee
n'etait pas tres  facile a desequiper, surtout  dans le noir. James me
rejoint au bivouac  epuise, completement decourage.   En deux jours on
n'a fixe que  quatre longueurs et  le hissage des charges s'est revele
horriblement  fastidieux.  J'observe  chez  mon partenaire le  celebre
"decouragement   du deuxieme jour"  :   quand on realise qu'on  serait
beaucoup  mieux a la maison  en train de manger  de pan  cakes avec du
sirop d'erable plutot qu'a se battre contre cette monumentale masse de
granite froide et rugueuse.  Lui aussi sait bien que c'est le debut le
plus dur, que  beaucoup de cordees abandonnent  des le debut  pour des
raisons  futiles.  Je sors de la  trousse  de secours la biere fraiche
reservee  pour les urgences de  ce  type.  (Il y  en a  une autre pour
"quand ca commence a faire  long", une pour "presqu'au sommet, coinces
dans la tempete"  et une derniere  "pour le sommet").  Je l'assure que
s'il n'a pas le moral  ce soir, j'ai le  moral pour deux et que demain
ca  ira mieux.  Je  le mets au  lit,  borde ses  draps   et souffle la
bougie. D'autres fois c'est  lui qui sera aux petits  soins pour moi. 

* Ce "sport" consiste a emmener par des moyens specialement difficiles
et inconfortables deux  personnes  et deux gros sacs  pesants surement
100kg  a eux  deux  (au debut)   au sommet   d'une montagne  que  l'on
s'empresse de quitter aussitot.  A  l'arrivee les sacs sont debarasses
de l'eau et de la nourriture : ils ne pesent "plus" que dans les 25-30
kg chacun.   Sur le chemin de descente  on regrette de s'etre encombre
du  rechaud, de la  radio,  des livres ! Les   familiers des big walls
appellent ces sacs    les  "pigs" (cochons)  :  aussi   lourds  et peu
cooperants.

* Ca fait  cinq  jours que je n'ai    pas quitte mon  baudrier.  Je ne
l'enleverai qu'au sommet, dans trois jours.

* J'assure James au Gri gri, il a deux metres de mou.  Ca me permet de
revasser.  Quand  je ne m'occupe pas  de  mettre une nouvelle cassette
dans le lecteur, de finir  un chapitre de mon  bouquin ou d'ecrire mon
journal de  bord,   je contemple ce  qui   m'entoure  :  la  vallee du
Yosemite, le Capitan, les sommets lointains.

* La vallee du  Yosemite, paradis des  grimpeurs. Mais l'escalade fait
figure d'activite marginale par  rapport  a ces millions de  visiteurs
qui visitent la "Valley". Yosemite Village a tout d'une petite ville :
poste, police, commerces, hotels, hopital.   Les animaux "sauvages" et
proteges de la vallee ont bien compris qu'ils n'ont  rien a craindre :
les    ours savent  reconnaitre  les  glacieres   dans les voitures et
connaissent  de tres  bonnes  methodes pour  forcer les portieres, les
ecureuils ont du trouer des centaines  de milliers de  sacs a dos a la
recherche des picnics, les coyotes se promenent  comme les chiens dans
un  village Francais,  les  cerfs ne sont   pas plus sauvages que  des
vaches...  Il y a meme  un probleme de  polution avec les milliers  de
voitures et de  de barbecues : un  americain en camping ne raterai son
barbecue pour rien au monde. Certains week-ends, le  fond de la vallee
est tapisse d'un vrai smog...

* Perdus au milieu du Capitan,  cette mer de  granite avec ses vagues,
ses couleurs  changeantes et  ses   rivages, si loin  maintenant.   La
progression est lente, je perd la notion du temps.  Depuis le relai je
peux  voir  presque toute  la  paroi.   Notre  voie suit  cette longue
fissure vers la droite  puis traverse vers  la gauche sous ce  toit et
remonte verticalement  jusqu'a   ce  sapin   qui parait  tout    petit
d'ici.  Les   perspectives changent doucement,   jour  apres jour.  Ma
voiture garee   en  bas est  de  plus en  plus petite.   On commence a
apercevoir le sommet du Half   Dome derriere l'epaule est du  Capitan.
Les arbres du sommet deviennent plus gros que ceux d'en bas.

* Ces  sommets  enneiges, la  bas,   c'est aussi le   parc national du
Yosemite. Ce  parc est immense, un  vrai  refuge de  faune et de flore
sauvage  (excepte la celebre vallee,  tres belle mais decidemment plus
sauvage du tout), paradis de la randonnee.  J'irai bien y promener mes
spatules cet hiver.

*   L'artif c'est pas complique   : tu montes   sur  les etriers et tu
reflechis  a comment progresser   de quelques  fractions de metres  de
plus. "Cette fissure  elle est parfaite  pour un friend #2.5".  "Cette
fissure elle est un peu trop evasee mais ca devrait tenir". "Putain il
va  falloir que je  mette un  micro  coinceur  (1mm),  a  la  grace de
dieux". "Et alors, ce piton il veut vraiment pas s'enfoncer de plus de
1cm ?". "Vacherie de rivet prehistorique, j'espere qu'il suportera mon
poids". "Au moins le relai  il est hyper  bon : je peux tout decrocher
si ca me chante, le relai tiendra le coup et  ca me fera un souvenir".
"Alors, voyons, comment on place un copperhead deja ?".  "Chouette, un
mouvement sur crochet goutte d'eau".  "Ah, il faut en faire un autre".
"Maman, un troisieme a la suite !".  "Tout ce bazard de matos suspendu
sur mes epaules  ca doit peser dans  les 20kg".  "Pour atteindre cette
fissure, il va falloir que je monte un echelon de plus.  J'ai deja les
abdos en compote !"

*  Bing !  Le micro  coinceur sur lequel je  pesais sans trop y croire
vient de glisser. La chute est courte : la piece precedente a encaisse
le choc. Dans du A3 la chute peut atteindre 10-15m !

*   Les faucons pelerins  n'en  finissent  pas de  tourner  a  cote de
nous. Ils profitent des vents thermiques leves par cette immense masse
de granite ensoleille. Dans la soiree le vent  tombe tout a fait et on
entend distinctement les cris des autres cordees dans la voie. Pendant
mon dernier  big  wall j'ai parfaitement  entendu une  copine qui nous
criait "Y'A QUELQU'UN ??"  depuis le parking, a plus de mille metre de
distance.

*  Six heures, le  quatrieme soir.  Un  fracas  dechire l'air. J'ai le
temps de  penser a une chute  de pierre puis de  realiser que ce n'est
pas le meme bruit. Quand je leve la tete, c'est un corps humain que je
vois tomber !  Horreur.  A deux cent metre du  sol a peine il ouvre un
parachute  et va tranquillement  se poser a  cote de sa  voiture (il a
interet a faire vite, le BASE  jump est interdit et fortement penalise
dans le parc du Yosemite).  Faut etre cingle.  Les cinq ou six cordees
a  l'ouvrage dans le  Capitan se dechainenent en cris, applaudissement
et sifflements.   Deux jours apres, sept  heure.   Il commence a faire
tres sombre. Meme fracas, mais c'est trois parachutes qui s'ouvrent en
meme temps.  Faut vraiment etre cingle.

*  "Oh,  non ! Des   raviolis pour la  deuxieme fois  de suite !". Les
boites de conserves n'offrent pas beaucoup de varietes.

* Le systeme  de fissures que  l'on suivait depuis deux jours s'arrete
en  un mur parfaitement  lisse et  verticale.  Au  lieu de franchir ce
passage en percant une echelle de rivets, les premiers ascensionnistes
ont preferes rejoindre  par un   pendule  une autre  fissure situee  a
gauche.  Je commence a osciller doucement, puis de  plus en plus vite.
Finalement je cours litteralement sur  la paroi et finis par  attraper
la fissure d'une  main.  De l'autre  je cherche desesperement dans mon
fatras de materiel un friend qui voudrait bien correspondre, mais rien
n'y fait : tout est melange.  Je lache prise et repars pour un pendule
desordonne en sens  inverse sous  les  quolibets  de James.  La   fois
suivante  je prepare  le bon friend  avant  de commencer a courir dans
tous les sens. Il fait beau, on s'amuse, on  est dans Mescalito depuis
cinq jours.

* Il est pres de six heures et demie,  j'ai besoin de la frontale pour
finir cette longueur. Comme notre slogan c'est "pas  de presse, pas de
stress" je redescends en rappel et on finira la longueur demain. James
a deja  deplie le portaledge  et mis la  table  (c'est a dire  qu'il a
extirpe le sac-repas d'un de  nos sacs de hissage).  Le repas est vite
avale : deux boites de  conserves froides, deux "tortillas"  (galettes
de ble ou  de mais), une boite de  jus de fruit.  Un portaledge  c'est
tout petit, il faut donc  se livrer a  de nombreuses contorsions  pour
s'enfiler dans  les sacs  de  couchages. James commence  a  ronfler en
trois minutes. J'ai a  peine le temps de penser  que ca m'empechera de
m'endormir avant de sombrer a mon tour dans le sommeil.

* La  vie sur le portaledge  c'est pas si dur   que ca.  Il  faut etre
organise,  c'est tout.   "Bon alors,  ce  genoux : je  le  mets ou  ?"
"Previens moi si  tu vas vers le  bord que je  contrebalance". "Est-ce
que tu peux attraper l'aspirine en passant ton  bras sous mon coude ?"
etc...

*   L'homme est   concu   pour evoluer   sur une surface    a peu pres
orthogonale au vecteur  gravite. Dans un big wall  c'est fou comme les
choses on  tendances  a s'echapper  des mains.   Si c'est pas accroche
c'est perdu.

* Le dernier soir, le temps se couvre. Diable, il va falloir installer
la tente par dessus le  portaledge...  Il commence a greler  doucement
puis  a neiger, ambiance. On   s'en fiche on est   a deux longueurs du
sommet.  C'est l'occasion d'apprendre a vivre dans cette tente.  C'est
vraiment minuscule. En plus c'est fait pour  resister a un deluge : la
toile est parfaitement etanche  et ca condense a mort  !  Il faut donc
metre les duvets dans des sursacs de bivouac...

*   Dernier matin,  cafe chaud   et   brouillard.  Puis les nuages  se
dissipent  en  lambeaux  et laissent  apparaitre   de plus en plus  de
morceaux de vallee,  de ciel bleu, de  sommets lointains  enneiges. le
soleil se leve, on a un peu froid mais on est heureux d'etre la.

* Dernieres longueurs, il fait froid. Sommet a trois heures, saupoudre
de neige.

* La seule chose qui manque vraiment la haut : les amis.

Novembre 1994.


glossaire : 

Pan-cakes  :  crepes  epaisses,  delicieuses   chaudes  avec du  sirop
d'erable. Bien plus agreable que l'escalade de big wall.

Portaledge : plateforme pliante que l'on  installe pour le bivouac. Il
y   a juste la  place  pour s'allonger a  deux  tete-beche.  En cas de
mauvais  temps  on deplie une tente  par  dessus. Difficile d'imaginer
plus petit.

Copperhead (ou alumhead) : petit  cylindre de cuivre (ou  d'aluminium)
surmonte   d'un   cable que  l'on   place  dans  des   vagues fissures
decidemment trop vagues pour  un coinceur. En  le  frappant a coup  de
marteaux il finit par epouser le relief et "coller" au rocher. 

Big Wall : paroi trop longue ou trop  lisse pour etre grimpee en moins
d'une journee par le commun des mortels.   L'escalade en big wall fait
generalement  appel a  de   l'escalade artificielle difficile,  a  des
bivouacs suspendus et  au hissage de sacs.  Le   top niveau s'amuse  a
faire  ces big walls  le plus vite possible.   (records  : The Nose en
moins  de cinq heures, ou  encore  trois big walls   en moins de vingt
quatre heures...)

Gri gri : dispositif permettant d'assurer le premier de cordee tout en
restant  des plus distraits. Tres pratique  quand une longueur demande
trois ou quatre heures de travail.

"Y'A QUUELQU'UN ??" : un alpiniste est dans une situation desesperee :
ses compagnons sont  tombes, il a  perdu tout son materiel, la tempete
fait rage.  D'ailleurs ca  empire : il glisse et  se retrouve pendu au
dessus  du vide par  une  seule main.  Il   doute terriblement  de ses
chances de survie.   Au  bord de l'epuisement  il  crie de toutes  ses
forces "Y'A  QUELQU'UN  ???".  A sa   grande surprise, les  nuages  se
dechirent laissant aparaitre  soleil et ciel  bleu. Une voix sort  des
entrailles de la montagne  : "C'EST MOI,  DIEU. AIE CONFIANCE  EN MOI,
LACHE  PRISE ET JE TE  RATTRAPERAI DANS MES BRAS MUSCLES". L'alpiniste
hesite une seconde puis crie : "Y'A QUELQU'UN D'AUTRE ???".

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