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La sortie.

Malgré l'arrivée tardive de la veille, nous nous levons à l'aube, décidés à en finir. Il ne reste presque plus d'eau, et plus grand chose à manger, vu que nous avons déja passé plus de temps que nous avions prévu dans la voie. Même si la chaleur estivale n'est pas là pour transformer El Cap en un Sahara vertical, nous commençons à avoir soif, si bien que je trouve même le Coca-Cola bon. En fait, alors que les deux premiers jours, nous avions souffert de la chaleur malgré la date précoce, au fur et à mesure que nous nous sommes élevés, c'était plutôt le contraire. Il est difficile d'imaginer qu'en pleine paroi le vent fasse partir les cordes à 45 degrés, alors que l'air paraissait calme dans la vallée. Une fois la nuit tombée, les longues attentes aux relais étaient assez loin de la tiédeur californienne. Je me souviens en particulier de cette longueur où la corde s'était coincée de nuit. Je venais de remonter aux jumars. Etant alors réchauffé par l'effort, j'avais continué juste avec une "carline", pour ensuite claquer des dents en attendant avec impatience, peut-être plusieurs heures, que Frank me rejoigne avec le sac contenant des vêtements chauds. En dépit du fait, reconnu par Robbins, que les risques encourus dans le big-wall sont assez illusoires et les difficultés toutes surmontables, à cause de la continuité de l'escalade libre et artificielle, des pendules, manoeuvres, sac et cordes coincés, hissages et remontés de cordes fixes, à cause du manque de sommeil et de vivres, de la chaleur du le froid, de l'inconfort des relais, je me sens usé.

En guise d'échauffement matinal, le glowering spot, une des longueurs-clé d'artif, m'échoit. Il me faut faire des mouvements sur RP numéro 1, un bicoin d'à peu près un millimètre d'épaisseur. La chance semble être cette fois-ci avec nous, puisque celui que je laisse échapper tombe pile sur le relais. La plateforme de Camp 6 me permet de récupérer, en dormant à moitié, allongé sur le dos, laissant filer la corde dans le grigri. Ce confort inhabituel est bienvenu, après tous ces relais inconfortables, où l'on est à moitié pendu et où l'on transfére son poids continuellement entre d'une part le harnais qui finit par cisailler les jambes et les reins, et d'autre part les étriers, dans lesquels les pieds souffrent, car ils y sont restés déja depuis trop longtemps dans la longueur, comprimés par les chaussons d'escalade requis par les nombreux passages de libre de la voie. Quand au grigri, ce n'est pas un luxe, vu qu'à force de tenir la corde je commence à avoir si mal aux mains que j'ai à présent du mal à la bloquer. Frank enchaine pour la seconde fois deux longueurs consécutives. Le compte total des longueurs descend ainsi à 32. Elles auront été presque toutes dures. Pour les surmonter, nous nous sommes levés presque chaque jour aux premières clartés, pour ne finir qu'à la frontale, une fois la nuit bien tombée, passant quatre jours totalement remplis. La succession continue de longueurs verticales est quelque chose de totalement inhabituel pour les Alpes. Je me souviens, lorsque j'étais allé au Freney avec Bertrand, avoir espéré finir la course assez rapidement, lorsque nous avions atteint la base de la Chandelle en début d'après-midi. Il n'y avait plus que cent mètres de difficultés, mais ces cent mètres allaient nous occuper jusqu'à la tombée de la nuit Dans le Nose, c'est une situation à laquelle nous étions confrontés tous les jours dans pas mal des longueurs, qui semblaient parfois durer une éternité, en particulier lorsque j'étais en tête, parait-t-il. Les ombres des grands pins projetées sur le vert tendre d'El Capitan Meadow nous donnaient à peu près l'heure, telles des horloges solaires qui auraient pu paraitres géantes si nous n'étions pas à présent si haut, et j'étais toujours surpris de les voir si allongées, alors que je me souvenais qu'elles étaient si courtes, il y a si peu de temps, alors que nous étions déja presque à l'endroit où nous sommes. La fuite du temps ne m'avait jamais autant surpris que ce deuxième soir, où étions arrivés au camp 4 seulement quelques heures avant la fin de la nuit. A présent, celle-ci tombe une dernière fois sur le Nose, et tandis que Frank m'assure, frigorifié par le vent, au moment où je négocie l'échelle de bons spits qui permet de franchir le lisse bombé terminal, ce n'est pas à Pupuce surplomb que je pense, mais à Warren Harding, forant un à un dans la nuit les 28 gollots qui lui ont permis de prendre pied sur la terre ferme, ce lointain matin de Novembre.

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