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Sickle Ledge.

La première voie ouverte sur El Capitan, au Yosemite, franchit la ligne la plus caractéristique de cette immense face verticale d'un seul jet, et doit son nom au fait qu'une partie du profil fait penser à celui d'un nez. Dans la première longueur, après avoir suivi de plus en plus difficilement la fissure en libre sur une dizaine de mètres, Frank venait de se résoudre à contre-coeur à sortir les étriers. C'est-à-dire que si jusqu'alors il n'avait utilisé que les prises naturelles du rocher pour s'élever, à présent celles-ci ne lui suffisaient plus, et il allait commencer à se tirer sur les ancrages artificiels qu'il lui faudrait placer. C'est une chose que j'aime bien, pourtant, dans le jeu du "big-wall", que l'on ne soit pas restreint par des considérations de style. Ayant souvent dit, comme certains doivent s'en souvenir, à propos des voies de montagne: "il ne suffit pas de tirer sur le clou, encore faut-il poser le pied dessus", je ne pouvais qu'être réjoui par le fait de pouvoir utiliser une pièce de protection comme prise avant même d'être arrivé à sa hauteur, grâce aux étriers, dont j'aime en utiliser carrément quatre, car même si cela parait superflu, cela rend les choses plus commodes. Cependant le problème avec le Nose (et encore plus avec Salathé) est que c'est une voie qui comporte en fait pas mal de libre. Comme elle suit un système de fissures, il serait possible de tout faire en artif, à l'exception de Texas Flake (une cheminée), mais un grimpeur maitrisant le niveau 5.10/5.11 en fissure devrait se régaler bien davantage dans la voie, et surtout passer nettement plus vite et sans trop d'hésitation. D'une part, il y a quand même quelque chose d'un peu esthétiquement insatisfaisant à passer en artif certaines fissures parfaites, comme la Boot Flake du second jour, mais ayant à peine à ce moment un niveau 5.9 en tête, je n'avais pas trop le choix. D'autre part, il y a le fait que lorsque j'arrive à une fissure pas trop difficile, je suis quand même tenté d'abandonner la méticuleuse et lente progression en escalade artificielle. Mais le mélange artif/libre ne marche pas bien du tout, car il n'est pas si facile techniquement de récupérer les étriers, et psychologiquement, d'abandonner leur apparente sécurité. Du coup, je me retrouve à faire beaucoup d'artif, alors que je me dis que le libre serait quand même préférable. L'artif dans les longueurs de libre est heureusement la plupart du temps direct, puisque coinceurs et Friends marchent pas mal, comme nous nous en étions finalement convaincus après nous être essayés sur la face Sud de Washington Column. Les longueurs d'artif de cette voie, qui nous avaient servi de seule préparation, effectuées entièrement sur coinceurs, nous avaient d'abord paru bien bien soutenues. Après que deux de mes points eurent lâché alors que je les testais, j'avais même sorti un piton (le seul du séjour), mais dans la seconde moitié de la longueur la confiance avait commencé à venir, même quand une petite secousse vers le haut eut suffi à déloger les bicoins. Cependant, les quatre premières longueurs du Nose, que nous gravissons sans sac de hissage en une longue demi-journée, allaient se révéler une surprise plutôt désagréable. Elles sont en effet constituées de dalles pas très raides, mais dont les fissures se réduisent parfois à des petits trous qui ne permettent pas de placements, obligeant à effectuer des pas délicats en libre entre quelques mouvements sur petits coinceurs et micro-Friends.

Pour nous donner encore une journée de délai avant de larger les amares pour de bon, nous avons rejoint une dernière fois la vallée en fixant quatre cordes à partir de Sickle ledge, décidés à faire un départ très matinal le lendemain. Déja la descente sur cordes simple avait fait assez mal aux mains (qu'elles sont dures à tenir !), et Frank avait eu peur à cause d'un glissement de gaine lors du premier rappel. Le comble a été quand, arrivé en bas, j'avais compris qu'il allait falloir que je remonte les 180m de cordes, ayant oublié les clés de la voiture dans un sac resté la-haut. Puis, après avoir en vain fouillé la Vallée à la recherche d'un restaurant ouvert, nous avions fini par nous coucher fort tard après une cuisine pourtant sommaire. Cela ne commençait pas si bien. Mais c'est le lendemain que nous avons été confrontés aux dures réalités du big-wall, effectuant nos premiers hissages. C'est là que nous avons commencé à comprendre la boutade de Harding, le premier ascensionniste de la voie: "le big-wall est un exercice de transport de fret vertical". Big-wall: les difficultés de la voie sont soutenues sur une telle hauteur qu'il n'est pas possible pour une cordée peu entrainée comme la nôtre de passer rapidement. Il faut donc prévoir bivouacs et provisions, ce qui a pour effet de nous alourdir et de nous ralentir davantage. Lorsque le premier de cordée finit sa longueur, il n'assure pas le second, mais s'occupe de remonter le sac de hissage. Pendant ce temps, le second remonte la corde en utilisant des jumars. Ce sont des dispositifs mécaniques qui glissent sur la corde dans un sens et bloquent dans l'autre, les grimpeurs laissant à Sylvester Stallone le plaisir de remonter les cordes à la force des bras. Notre sac n'est pas très lourd, il doit peser une quarantaine de kilos au plus. Nous n'avions pris, en plus de notre équipement de bivouac et de protection, que deux jours et demi de nourriture et trois jours d'eau. Cependant nous dépensâmes ce jour là tellement d'énergie, et surtout de temps dans des manoeuvres mal coordonnées, que nous jugeâmes, devant la matinée achevée, que c'était un départ manqué, et préférâmes redescendre pour repartir le lendemain vraiment de très bonne heure.

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